La LAMal, le prix des médicaments de la liste des spécialités (LS)

et la rémunération du pharmacien




Le système de rémunération du pharmacien, entré en vigueur le 1er juillet 2001, devait et pouvait détacher l’exercice de la profession du prix du médicament. Il devait lui apporter transparence et considération. La pratique en a fait juste le contraire.


Les taxes, qu’on les appelle forfaits, honoraires ou validations, ne changent rien à l’incompréhension qui les entoure. Le non respect des réalités par tous, à commencer par les pharmaciens, qui, en jouant les uns aux apprentis sorciers en renonçant à la perception des taxes et les autres en s’adaptant aux évolutions mercantiles, ne font que déconsidérer la profession qui a tant de services à rendre à la population. Celle-ci et le monde de la politique ignorent les impératifs de fonctionnement du nouveau système, la structure de fixation des prix, ainsi que le financement croisé des médicaments chers par les médicaments bon marché qui rendent impossible une correcte information.


Nous espérons que les chiffres relevés plus loin dans le tableau d’évaluation de la part de distribution et les explications qui s’y rapportent contribueront à la prise de conscience des pharmaciens pour les sortir de leur résignation devant la déstabilisation de leurs officines, car la loi a été globalement bien conçue, mais mal appliquée.


Les bases légales


Dès le 1er janvier 2001, la LAMal a fait une distinction entre le prix des médicaments de la Liste des Spécialités (LS) et la rémunération du pharmacien.


  1. Prix des médicaments de la LS :

Suivant l’article 67 OAMal, le prix des spécialités se compose du prix de fabrique et de la « part relative à la distribution » (alinéa 1 bis). Le prix de fabrique rémunère les prestations, redevances comprises, du fabricant et du distributeur jusqu’à la sortie de l’entrepôt, en Suisse (alinéa 1ter). La « part relative à la distribution » rémunère les prestations logistiques, en particulier les coûts d’exploitation et d’investissement liés au transport, au stockage, à la remise et à l’encaissement (alinéa 1quater).


L’article 35a OPAS précise la notion de « part relative à la distribution » pour les médicaments qui sont remis sur prescription (alinéa 4). Elle se compose d’une prime fixée en fonction du prix de fabrique (prime relative au prix) et d’une prime par emballage (alinéa 1).


La prime relative au prix selon l’alinéa 1 prend notamment en compte les coûts en capitaux résultant de la gestion des stocks et des avoirs non recouvrés (alinéa 2).


La prime par emballage prend notamment en compte les frais de transport, d’infrastructure et de personnel. Elle peut être échelonnée selon le prix de fabrique (alinéa 3).




La LS est établie par l’Office fédéral de la santé publique sur la base d’un mandat légal (article 52 alinéa 1 lettre b LAMal). L’OFSP est chargé de fixer la « part relative à la distribution » selon les fournisseurs de prestations et les catégories de remise. Il peut en outre tenir compte de situations de distribution particulières (alinéa 5).



Le grossiste répartiteur est un acteur incontournable de la chaîne de distribution des médicaments. Sa part n’est pas définie explicitement dans le barème de construction du prix des médicaments de la LS. Les frais de distribution doivent inévitablement l’englober (charges et bénéfice), en plus des charges d’exploitation de la pharmacie.


  1. Rémunération du pharmacien :

La rémunération du pharmacien est définie à l’article 25 alinéa 2 lettre h LAMal. Elle est déterminée par voie conventionnelle entre pharmaciens et assureurs sur la base d’une structure tarifaire uniforme, soumise à l’approbation du Conseil fédéral sur le plan national, ou, à défaut, de l’autorité exécutive cantonale.


En termes simples, la LAMal stipule que le prix LS couvre les charges de la pharmacie. Elle ne comporte pas des directives qui lui laissent de bénéfice, en comptant évidemment que la structure de fixation des prix ait été correctement établie. En revanche, la LAMal qualifie le prix LS de prix maxima, ce qui est en contradiction avec les éléments qui le composent. Comment un médicament dont le prix de vente est fixé à partir de son prix d’achat et des charges d’exploitation, peut-il se prêter à des baisses ? Les éléments que la structure de fixation des prix a intégrés correspondent à l’établissement d’un prix de revient. Les pharmaciens sont en droit de réclamer que la qualification de prix maxima soit corrigée pour correspondre à la réalité de la construction du prix.


Le revenu du pharmacien réside dans la perception de valeurs tarifaires (taxes) fixées par convention avec les assureurs. Quand on se réfère aux propos tenus par Monsieur Prix sur la perspective de non perception des taxes en pharmacie ou sur les commentaires retransmis par l’ats suite à l’approbation de la Convention : «Le Conseil fédéral a approuvé la nouvelle convention tarifaire conclue entre la Société suisse des pharmaciens et l’organe faîtier des caisses maladies santésuisse. Les pharmaciens gardent la possibilité de renoncer à prélever les forfaits fixés dans cet accord », on est forcé de conclure que dans cette aspiration les dispositions de la LAMal ne sont pas prises en considération et que le pharmacien est amené à dispenser les médicaments de la liste des spécialités bénévolement.


La seule lueur d’espoir laissée au pharmacien est de lire ce qui a été indiqué, à l’adresse des assureurs et des pharmaciens, dans le même article précité : «Le Conseil fédéral les encourage en outre à étudier une éventuelle suppression du rabais, fixé à 2,5%, sur les prix des médicaments. Le rabais pourrait être intégré directement dans le système tarifaire. ».


Enfin, pour la première fois, on prend conscience que le prix des médicaments de la liste des spécialités correspond au prix de revient du pharmacien. Il reste encore à vérifier que ce principe soit respecté dans la structure de fixation des prix. Si, l’intention d’intégrer le Montant de Stabilisation des Coûts (MSC) directement dans le système tarifaire est mise à exécution, elle sera l’occasion de vérifier la structure tarifaire et les valeurs chiffrées qui la composent. D’où la nécessité d’évaluer correctement la « Part de distribution » pour nous faire une idée exacte de la situation de la Pharmacie.






Marge moyenne des médicaments A et B de la liste des spécialités (Part de distribution)


Le tableau suivant a été établi à partir les données IMS dont nous disposons. Les chiffres représentent le total des achats au prix ex factory et des ventes au prix LS de l’ensemble des pharmacies en Suisse :


Période

du 01.01 au 30.09.05

du 01.01 au 30.09.06

C.A. selon le prix LS

CHF 1'977'717'566

CHF 1'993'247'055

Coût selon le prix ex factory (respectivement 1'330’846'383 et 1'337'791'349) + 2.4 % TVA

CHF 1'362'786'696

CHF 1'369'898'341

Part de distribution 1

CHF 614'930'870

CHF 623'348'714

Marge de distribution en % du prix LS

31.09% 2

31.27% 2

Marge du prix ex factory en % du prix LS

68.91% 2

68.73% 2

Part du grossiste en % du prix LS 3

5.17% 2

5.15% 2

Couverture des charges d’exploitation en % du prix LS

25.92% 2

26.12% 2

Pourcentage laissé après déduction du MSC par rapport au prix LS 4

23.22% 2

23.42% 2

Pourcentage des charges d'exploitation par rapport au prix final 5

21.11% 5

21.29% 5

Manque de couverture des charges par rapport au prix final 6

5.29%

5.11%



1 Part de distribution (Prix LS – prix ex factory) = Part du grossiste (charges + revenu) + couverture des charges de la Pharmacie.

2 Les pourcentages sont indiqués en référence au prix LS pour garder la même échelle de valeur et permettre la comparaison.

3 La part du grossiste est évaluée en moyenne à 7,5 % du prix ex factory. Elle est ramenée au prix LS.

4 Montant de stabilisation des coûts 2,7 %.

5 Prix final : Prix LS + rémunération du pharmacien (estimée à 10 % du prix LS). Le pourcentage est ici défini en référence au prix final, car toutes les statistiques des charges des pharmacies connues sont faites par rapport au chiffre d’affaires total.

N.B. Il s’agit du pourcentage de la couverture des charges qui baisse par rapport au niveau du prix final, et non pas d’une marge qui augmente avec l’élévation du prix.

6 La moyenne des charges est estimée à 26,4 % (Voir explications suivantes).



Charges d’exploitation de la Pharmacie

Les charges d’exploitation sont en moyenne générale de 26,4% par rapport au chiffre d’affaire total (réf. à l’étude de l’Institut Créa « Le nouveau système de fixation des prix des médicaments LS », pages 10 et 11). Cette moyenne correspond également aux statistiques de Mme Carine Abt-Baumann faites entre 1990 et 1992. Nous ne connaissons pas d’autres études à ce jour. Les pharmacies qui sont interrogées à ce sujet déclarent se situer autour de cette moyenne. Les extrêmes vont de 23 % à 31 % par rapport au chiffre d’affaires total. Il est aisé à chaque pharmacie de déterminer le taux de ses propres charges et de se rendre compte ainsi du niveau de celles-ci par rapport à la moyenne générale.


Les pharmacies aux chiffres d’affaires les plus élevés ont aussi, en pourcent, les charges d’exploitation les plus élevées. L’essentiel des frais administratifs de la pharmacie est provoqué par le suivi que le pharmacien doit assurer pour les médicaments Rx, les modalités de la facturation et les capitaux immobilisés pour couvrir les délais de paiement des assurances maladie. Les chiffres démontrent que le prix des médicaments n’est pas tributaire du nombre élevé de pharmacies, mais du niveau des charges qui est plus bas pour les petites pharmacies.


Manque de couverture des charges d’exploitation pour les médicaments A et B de la LS

Pour les neuf premiers mois de l’année 2005, il manque (marge moyenne des charges d’exploitation – marge laissée par la fixation des prix LS) :

26,4 % - 21,11 % = 5,29 %


Pour les neuf premiers mois de l’année 2006, il manque :

26,4 % - 21,29 % = 5,11 %


Les manques de 5,29 % et 5,11 % pour la couverture des charges sont récupérés sur la rémunération du Pharmacien, ce qui laisse respectivement une moyenne générale de bénéfice net de 4,71 % et 4,89 %. Or, les écarts entre les pharmacies sont énormes, de plus à moins 20 %, ainsi que les simulations de l’OFAC l’avaient montré avant la mise en application de la LAMal sur le nouveau système de fixation des prix.


Disparité des revenus

La structure du prix du médicament de la Liste des Spécialités a été modulée par une baisse du prix des médicaments chers et une augmentation du prix des médicaments bon marché, dans le but de financer les premiers par les seconds. La marge brute des médicaments bon marché s’élève ainsi jusqu’à 57,45 % et régresse progressivement jusqu’à 8,95 % à l’extrémité du 7ème palier au fur et à mesure que le prix augmente. Cette marge est encore plus réduite à partir du 8ème palier et tend vers 1 %.


Cette démarche ne diminue pas la facture des médicaments aux assureurs, puisqu’elle n’influence pas le prix de fabrique et englobe, conformément aux prescriptions de la LAMal, les charges d’exploitation de la pharmacie qui restent identiques, qu’il y ait financement croisé des médicaments ou pas. En revanche, elle provoque une grave disparité des revenus entre les pharmacies en fonction de la proportion des médicaments chers vendus par rapport aux médicaments bon marché. Les pharmacies à grande clientèle de passage vendant plus de médicaments au prix peu élevé réalisent une plus grande rentabilité que les pharmacies qui s’occupent de patients souffrant de maladies chroniques.


La situation s’est dégradée en 2006

La structure anarchique de la fixation des prix des médicaments de la LS a érodé progressivement l’aisance financière de la Pharmacie et réduit la marge stratégique indispensable pour assurer une évolution qualitative de la profession. Année après année, les réserves financières se sont amenuisées devant l’adaptation aux nouvelles conditions de fonctionnement. Il n’y a plus, pour bon nombre de pharmacies, que les fonds propres pour les maintenir en activité devant les turbulences incessantes.


En 2006, la Pharmacie se trouve financièrement désemparée devant l’utilisation forcée des génériques et les baisses drastiques des prix. Pourtant, depuis 2001, elle a été en principe détachée du prix du médicament, ce qui devait la mettre à l’abri de ces vicissitudes. La pression actuelle sur les prix ne devait pas perturber le revenu du pharmacien, si la loi était respectée, malheureusement elle ne l’est pas.


Quand au Grossiste, il n’a pas été tenu compte de sa part dans la fixation des prix, comme si son rôle était contournable, or il ne l’est pas. Il se trouve logé, par la force des réalités du fonctionnement, dans la part de distribution. Son revenu n’est pas défini, ni qualitativement, ni quantitativement. Pour se rétribuer, il peut à sa convenance recourir à un pourcentage qu’il est libre de moduler par rapport au prix ou la rétribution de ses services. Amedis-UE a choisi la première solution en utilisant un pourcentage linéaire et Galenica a opté pour la seconde solution. Mais, quel que soit le système choisi, le Grossiste bute devant les réalités de la part de distribution et les capacités financières des pharmacies.


Jusqu’en 2005, le Grossiste n’a pas été inquiété par le nouveau système de rémunération. Ce qu’il perdait par la concurrence des mini grossistes ou du secteur de dispensation des médicaments à distance et de l’intervention de l’industrie pharmaceutique qui distille des avantages sur le prix ex factory, il le récupérait, soit par le phénomène de l’augmentation des prix, soit par l’augmentation du nombre des médicaments vendus.


Le Grossiste est théoriquement libre de ses mouvements, cependant il est fatalement lié au pharmacien dans la part de distribution. S’il prend ses aises, financièrement parlant, il asphyxie son pharmacien-client et ceci est vrai réciproquement. Ils sont condamnés tous deux à ne pas chercher chacun son propre salut au détriment du partenaire, mais à s’unir dans une démarche commune pour faire appliquer correctement la loi dans le domaine de la fixation des prix.


Faire baisser les coûts de la Santé

Tout le monde est préoccupé par les coûts de la Santé et s’emploie à les faire baisser. Cette exigence crée un malaise qui paralyse politiquement notre profession et l’empêche de faire part de sa réalité. Pourtant, non seulement c’est un droit, mais un devoir si on veut prévenir qu’elle ne puisse plus remplir correctement sa mission. Si la pharmacie est déstabilisée, tout le domaine de la santé en paiera le prix, tant en matière de qualité que de coût.


Nous sommes la seule profession médicale qui bénéficie, sur le plan financier, d’un cadre strict de fonctionnement. Le prix LS doit couvrir les charges d’exploitation pour que le pharmacien puisse vivre de la rémunération que lui mesure l’assureur, rémunération équitable comme le prescrit la LAMal. Ces conditions montrent à l’évidence combien les personnes qui prônent la disparition des taxes sont de faux prophètes éloignés des réalités.


Le Pharmacien n’a pas les moyens de subventionner le domaine de santé, l’Etat lui-même peine à le faire. Si on demandait à l’assureur de faire baisser les primes pour soulager la population, il répondrait qu’il ne peut pas le faire puisqu’il doit équilibrer les charges et les produits. Il en est de même pour les pharmaciens dont un bon nombre ne dispose plus de réserves pour parer aux multiples difficultés.



Commission RBP Vaud – Genève


Lausanne, le 8 janvier 2007